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DOSSIERS DE
  BIODIVERSITÉ

La biopiraterie : un aperçu
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Méthodes, enjeux, et problèmes posés par la biopiraterie


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Accès rapide :

- Comment agissent les biopirates ?
- Quels sont les enjeux de la biopiraterie ?
- Quels problèmes sont ainsi créés ?





1. Comment agissent les biopirates ?

1.1 La bioprospection

La bioprospection est la première méthode pour trouver de nouvelles espèces potentiellement intéressantes. Des chercheurs sont envoyés sur le terrain, qui doit être riche en ressources inexplorées, riche en biodiversité à découvrir... On pense donc principalement aux régions tropicales des pays du Sud. Cette méthode a été utilisée depuis “toujours” par les scientifiques, depuis l’Antiquité, en passant par Darwin et Linné ! Mais aujourd’hui, ces recherches sont financées par des entreprises privées, et leur nombre ne cesse d’augmenter, ce qui pose la question de l’échelle et de la régulation de ces recherches.

1.2 L’ethno-science

Pour réduire le temps passé à chercher, les scientifiques peuvent utiliser “l’ethno-science”, c’est-à-dire utiliser le savoir des populations locales. Ils peuvent leur demander quelle plante ils utilisent pour soigner telle maladie, comment ils la préparent... Mais cela ne se limite pas à la pharmacologie ! Il y a aussi les traitements pour protéger les plantations, les cosmétiques...

1.3 Travail en laboratoire

Quand les chercheurs ont trouvé suffisamment d’échantillons, ils les étudient en laboratoire, pour essayer d’en tirer des produits commercialisables. Ce n’est parfois pas possible, et beaucoup d’argent peut être perdu par l’entreprise...

1.4 Un enjeu parfois de taille : exemple de l’accord entre l’industrie pharmaceutique Merck et le Costa Rica

Présentation en chiffres

En 1991, une année où l’entreprise Merck (figure 7) a fait 8,6 milliards de dollards de profits, un contrat a été signé avec l’Institut national de la biodiversité du Costa Rica (INBio). On estime que le Costa Rica possèderait entre 5 et 7 % de la biodiversité mondiale. En échange de droits exclusifs de prospection, de développement et de brevetisation de nouveaux produits depuis des plantes, des microorganismes et des animaux, un total de 1,1 millions de dollards a été payé à un programme local de préservation de la biodiversité et au Ministère de l’Environnement National (figure 8). L’entente biennale a déjà été renouvelée deux fois. Avec une estimation d’une découverte d’environ 500 000 espèces, cela représente 2 dollards par espèce. Cela signifie qu’à plus grand échelle, à un tel prix, l’ensemble des ressources génétiques du monde pourrait être acheté pour 20 millions de dollards !

Merck

Figure 7 : Recherche scientifique sur les plantes bioprospectées au Costa Rica - Image de INBio

INBio

Figure 8 : L’association INBio - Image de INBio

Quel gain pour le Costa Rica ?

D’après l’IDRC (Institute of Development Research Center), la bioprospection au Costa Rica a des effets positifs : l’organisme de recherche sponsorisé par Merck a des activités orientées vers la santé locale, et les connaissances sur l’histoire naturelle du Costa Rica ont été augmentées.

En revanche, il est difficile de savoir si l’effet économique a vraiment été bon. Il est sans doute assez négligeable à côté du tourisme.



2. Quels sont les enjeux de la biopiraterie ?

2.1 Le brevetage du vivant

Une entreprise peut breveter une espèce modifiée par elle, c’est-à-dire mutée ou hybridée ou modifiée génétiquement, sans que ces formes existent dans la nature (figure 9). Elle peut aussi breveter un gène qu’elle a découvert, ou une fonction d’une espèce qu’elle a découverte. Le problème est qu’il est souvent très difficile de prouver que l’espèce “modifiée” existe dans la nature, ou que la fonction est connue par des indigènes depuis longtemps, s’il n’y a pas de traces écrites. De toutes manières, une“connaissance pré-existante”(prior existing knowledge) n’est reconnue aux états-Unis que si elle est écrite dans un journal ou disponible dans une banque de données. Un savoir traditionnel transmis oralement n’est pas “valable”. Il est donc souvent facile pour une entreprise de tricher, de déposer un brevet et d’empêcher les indigènes d’utiliser l’espèce dont ils se servaient depuis si longtemps ! ! Car une fois le brevet posé, l’entreprise peut demander des royalties à ceux qui voudraient utiliser“son”produit, et les indigènes n’ont pas les moyens de payer.

brevets

Figure 9 : Brevets déposés sur des espèces vivantes - http ://www.etcgroup.org/

2.2 Une accélération du phénomène

Les grandes entreprises prennent conscience de l’énorme potentiel de cette biodiversité qui disparaît, de l’urgence qu’il y a à la découvrir... Cela déclenche une véritable course à la découverte de nouvelles espèces. Certaines personnes disent que ce siècle sera “l’âge de la biologie”, que les produits issus de matériaux organiques sont appelés à remplacer de plus en plus ceux issus de l’industrie chimique. Peut-être est-ce vrai pour les cosmétiques et les pesticides, mais on peut se poser la question pour les médicaments, ce genre de recherche étant extrêmement coûteux, et risqué si cela mène à une impasse.



3. Quels problèmes sont ainsi créés ?

3.1 La fragilité de la biosphère

La conséquence la plus évidente de cette course à l’espèce nouvelle est la perte de biodiversité. Sans être contrôlée, la collecte d’échantillons peut prendre des tournures extraordinaires, les propecteurs n’ayant pas à se limiter ! Si, en plus, ils ne sont pas conscients du caractère fragile de certaines espèces, ils peuvent fragiliser la biosphère (figure 10). Cependant, il n’existe pas d’étude montrant l’effet direct de la biopiraterie sur la biodiversité, celui-ci étant plutôt indirect (par l’entrave à la recherche des taxonomistes).

biosphere

Figure 10 : Fragilité de la biosphère

3.2 Le respect des communautés indigènes

L’implication du caractère privé de cette recherche, peu contrôlée, est que les entreprises, ne cherchant que le profit, “ oublient” de remercier les communautés indigènes qui ont fourni le savoir ayant donné le produit (figure 11). Pire, les royalties peuvent les écraser et les empêcher d’utiliser leurs seules ressources. De plus, si une entreprise brevète une fonction d’une plante connue par les indigènes, c’est interdit, mais pour faire annuler le brevet, il faut faire un procès coûteux, qui peut parfois durer des années. Par exemple, le gouvernement indien a dépensé 6 millions de dollars en dix ans dans sa bataille pour faire annuler des brevets américains sur la médecine traditionnelle indienne basée sur le neem et le turmeric !

communauté

Figure 11 : Respect des communautés indigènes

Plus de 2000 brevets sont déposés chaque année sur des traitements issus du savoir traditionnel indien. Or 70% des Indiens utilisent la médecine traditionnelle comme premier remède. Ce n’est donc vraiment pas un “petit” problème !

3.3 L’arbre Neem en Inde, ou comment la valorisation commerciale d’une plante la rend inaccessible à la population locale

L’arbre Neem (ou margousier) a fait l’objet de nombreux brevets en raison de ses propriétés diverses : traitement des inflammations, de maladies de peau, de la fièvre, etc. Les Indiens l’utilisaient depuis près de 4000 ans (figure 12). Suite au dépot de nombreux brevets, cet arbre est devenu en quelque sorte la propriété privée d’un petit nombre d’entreprises. En 2001 l’Office européen des brevets (OEB), suite à des plaintes des paysans indiens, décide de révoquer le brevet du Neem. La démonstration a en effet été faite que ses propriétés fongicides étaient connues depuis longtemps. L’OEB s’est appuyé sur une délégation de paysans sri lankais et indiens avec 100 000 signatures.

Le Neem

Figure 12 : Le Neem

WR Grace a alors vendu son “droit” sur l’arbre de Neem à une société japonaise, Certis. Les détenteurs de brevets ont fait appel du premier jugement. A l’heure actuelle 65 brevets concernant le margousier ont été enregistrés par l’OEB : 22 ont été accordés, 28 abandonnés et 9 sont en cours d’examen.

En Inde, les prix de l’arbre de Neem augmentent depuis que W.R. Grace and Co. a construit une usine qui peut traiter 20 tonnes de fruits de Neem par jour. Les fruits, qui étaient auparavant à la disposition de tous, gratuits, sont à présent vendus par cette usine, et les personnes les plus pauvres ne peuvent plus en avoir. L’huile de Neem, qui était utilisée comme combustible dans les lampes, est aujourd’hui presque introuvable, car ses fabricants n’ont plus accès aux fruits (figure 13).

Crème de Neem

Figure 13 : Produits cosmétiques fabriqués à partir du Neem

3.4 Des cas parfois ambigus : le cas de l’Argan

L’arganier est un arbre indigène du Sud du Maroc (figure 14). La forêt d’Argan s’étend sur environ 800 000 hectares et contient plus de 20 millions d’arbres. Son fruit a un noyau très dur qui contient entre une et trois graines, dont on extrait une huile de très grande valeur (figure 15). Les autochtones l’utilisent non seulement comme huile de combustion, mais aussi comme remède contre beaucoup de maladies de peau.

Zones d'arganier

Figure 14 : Zone de forêts d’Argan - http ://www.amergou.com/

arganier

Figure 15 : L'arganier

Un cas classique de biopiraterie ?

L’ONG Buko présente l’Argan comme un bon exemple de biopiraterie. L’entreprise américaine Cognis (figure 16) est en effet partie de la connaissance de la population locale pour ensuite breveter trois molécules issues de l’arganier :

– Arganyl : flavonoide extrait des feuilles de l’arganier. Il a des propriétés anti-âge, protégeant les couches profondes de la peau grâce à ses activités anti-MMP (métalloprotéinases de la matrice extracellulaire) et anti-collagénase (figure 17).
– Argatensyl : une protéine de haut poids moléculaire, extraite des graines du fruit de l’argan. Elle rend la peau plus ferme et en réduit les lignes fines (figure 17).
– Lipofructyl Argan : une huile purifiée qui est utilisée dans des produits pour la peau, les cheveux et les ongles.

cognis

Figure 16 : Logo de Cognis - http ://www.fortrade.ma/

soins

Figure 17 : Soins de beauté à base d’argan

Ces produits sont rentables pour l’entreprise, et la gestion ne relève pas de la population locale, mais...

Une initiative pour le développement durable ?

Cognis, elle, revendique son travail de l’Argan comme un effort envers les autochtones. L’entreprise vante ainsi les actions entreprises :

– Coopération avec des partenaires locaux. Les Laboratoires Sérobiologiques (sous-filiale de Cognis) et le professeur Zoubida Charrouf sont à l’origine, grâce à leur collaboration, de la découverte des trois substances précédemment citées.

– Approche durable. Les Laboratoires Sérobiologiques, en collaboration avec les Autorités Marocaines des Eaux et Forêts, ont réalisé une étude d’impact afin de déterminer quelle quantité d’Argan pouvait être récoltée en assurant la préservation à long terme de la forêt. En plus d’être le refuge de nombreuses espèces, cette forêt est une barrière naturelle contre l’avancée du désert. Sa préservation est donc fondamentale.

– Programmes d’éducation. Pour stimuler une meilleure compréhension de la valeur de l’arganier et pour impliquer la population locale dans sa protection, un thésard a été employé, a formé un expert local qui à son tour a formé 30 groupes de femmes dans les coopératives locales.

– Collaboration dans des initiatives locales. Cognis travaille en association avec le réseau local Targanine et l’organisation française Yamana pour assurer des revenus corrects aux travailleurs, et une répartition équitable des revenus.

Que penser ?

La biopiraterie n’est donc pas si simple à définir...

D’un côté, une appropriation de molécules issues d’un arbre connu depuis longtemps par la population locale pour ses vertus médicinales... De l’autre, un projet qui se veut plein de bonne volonté et de bons résultats. Il apparaît donc assez délicat de définir la biopiraterie : il ne s’agit pas tant de condamner des Grands méchants Loups que de dévoiler, à la base, un brevet illégitime.




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