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DOSSIERS DE
  BIODIVERSITÉ

Enjeux théoriques de la biodiversité
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Exemples de sauvegarde de la biodiversité


(Accéder au plan du dossier complet)





Nous allons présenter successivement trois approches actuelles qui s’inscrivent dans la démarche de rétablir et/ou de protéger la biodiversité, en nous appuyant sur des exemples concrets. Nous pourrons alors souligner les limites de chaque type de démarche.

Accès rapide :

- L'ingéniérie écologique
- La restauration écologique
- La recréation d'espèces disparues





L’ingénierie écologique (voir aussi ingéniérie écologique)

L’ingénierie écologique consiste en l’utilisation des connaissances sur les écosystèmes et des savoirs faire techniques des ingénieurs dans le but de résoudre un problème posé par la gestion du patrimoine naturel1. Ce problème se manifeste souvent par le fait qu’un service auparavant rendu par un écosystème soit mis en péril du fait des interventions humaines récentes. Ainsi, ce mouvement d’ingénierie est né aux Etats-Unis, en 1972, où le Clean Water Act a été mis en place2. Ce fut la prise de conscience que l’on pouvait améliorer la qualité de l’eau en obligeant tous les intervenants à protéger les zones humides et notamment les marécages qui ‘filtrent’ les cours d’eau en plus d’abriter de nombreuses espèces. Comme la biodiversité est une caractéristique importante d’un écosystème, nécessaire dans une certaine mesure au maintien durable d’un paysage (puisque la survie d’une espèce et de son action sur le milieu dépend des interactions avec les autres espèces), les ingénieurs vont souvent la prendre en compte pour construire leur plan d’action.

Mais, dans cette optique utilitariste de la nature, on peut se demander quelle biodiversité va être privilégiée car protégée et suivie, et on peut questionner les fondements éthiques de cette démarche de maîtrise de processus qui auparavant s’autorégulaient. L’homme peut-il, par son action, réparer des dommages qu’il aurait lui-même causés ; ou bien ne s’enferme-t-il pas dans l’illusion de pouvoir restaurer une certaine image qu’il se fait d’un écosystème en bon état de marche ?

Pour bien comprendre les tenants et les aboutissants des interventions dans le cadre de l’ingénierie écologique, nous pouvons évoquer quelques exemples.

En Israël, de nombreux cours d’eau ont souffert de la pollution déclenchée par l’urbanisation (des eaux usées sont déversées dans certaines rivières) et l’usage de plus en plus de pesticides pour l’agriculture1. Des déchets se sont accumulés dans les lits, modifiant le débit et l’écoulement des eaux. Ces cours d’eaux ne remplissaient plus les exigences humaines en termes de loisirs et de paysage ; de plus, de nombreuses espèces ont été mises en péril car toute forme de vie dépend de l’eau et les zones humides concentrent donc une immense diversité vivante. Ainsi, il y avait un réel problème qui nécessitait une action de la part des autorités. Les rivières ont donc été surveillées : différentes espèces ont été suivies, et la qualité de l’eau a été contrôlée. Des fonds ont alors été levés pour agir sur trois fronts. Tout d’abord, des stations d’épuration ont été mises en place, de manière à ne pas dépasser la capacité de charge en déchets et polluants de la rivière, et des poursuites ont été engagées contre de nombreux pollueurs, tandis que certains polluants ont été interdits. D’autre part, le lit de certaines rivières comme le Yarkon a été désengorgé, et des tonnes de déchets ont été retirées afin de permettre l’écoulement de la rivière. Enfin, toujours dans l’exemple du Yarkon, de nombreux aménagements ont été entrepris sur les berges : on les a étayées, et agrémentées d’itinéraires pour piétons et cyclistes ainsi que d’aires de pique-nique et de pêche.

Ainsi, on peut souligner que l’ingénierie écologique réalisée sur ces rivières avait avant tout un but pratique : il s’agissait du développement touristique de ces berges. Même lorsque des parcs sont mis en place, ils s’inscrivent dans une logique d’ouverture au publique. On peut alors se demander à quel point la ‘réhabilitation’ de ces fleuves ne s’est pas métamorphosée en une ‘transformation’ de la ressource naturelle en un paysage apprécié par les habitants mais n’ayant au final pas grand-chose de « sauvage ».

Le Yarkon restauré

Le Yarkon après les actions d’ingénierie écologique

Cela va poser principalement deux problèmes :

- tout d’abord, le choix des cours d’eau à protéger est réalisé grâce à une échelle de priorités dans laquelle le « potentiel récréatif » du lieu est pris en compte. Des études sont menées pour déterminer si l’écosystème est trop fragile pour supporter un tel développement touristico-économique, si des espèces ne supporteraient pas la présence humaine. On pourrait penser qu’il s’agit là d’une bonne chose ; mais dans l’affirmative peu ou pas de mesures sont prises, le projet est tout bonnement abandonné. De telles actions vont donc favoriser le développement d’espèces moins vulnérables ou en tout cas plus adaptées à la présence humaine. Mais dans le contexte actuel, avec le nombre d’extinctions qui ne fait que croître, peut-être a-t-on besoin d’un autre type d’actions sur l’environnement. Il est certes agréable de se promener sur des chemins tous tracés avec ses enfants, mais nous voudrions peut-être aussi leur montrer toute la complexité d’un écosystème non anthropisé. C’est aussi une leçon d’humilité de voir que certaines espèces peuvent vivre sans l’aide des hommes, alors que le contact permanent entre les animaux vivant sur ces berges et les humains amènera les premiers à ‘profiter’ des déchets et de la nourriture apportée par les derniers, si toutefois ils réussissent à s’y habituer.

- d’autre part, au-delà du dilemme posé par le choix des sites à protéger, l’ingénierie écologique pose ici un problème d’ordre psychologique. En effet, de part les actions pédagogiques entreprises dans le cadre du développement touristique, l’opinion publique aura l’impression d’avoir ‘restauré’ les rivières. Mais c’est alors oublier les nombreuses espèces déjà disparues qui font que le milieu a été modifié de manière irréversible par les hommes.

D’aucuns diront que ce type d’action, certes imparfait, est le seul réalisable et réalisé, et qu’aller plus loin n’est qu’un doux rêve d’idéaliste. Cependant, on aurait aussi pu décider de consacrer une partie de l’argent généré par le développement touristique des zones aménagées pour mettre en place des parcelles totalement closes au public mais cependant protégées, de manière à constituer un refuge pour les espèces sensibles. Il s’agirait alors à la fois de préserver une certaine « esthétique » de la biodiversité, considérée comme une fin en soi, mais aussi de conserver un certain « pull génétique » susceptible de contenir des espèces capables de répondre à une perturbation de l’écosystème. Par exemple, maintenir une certaine biodiversité permet d’augmenter la probabilité d’existence d’espèces capables de faire face au réchauffement climatique. De plus, on peut envisager un aménagement des berges qui serait moins artificiel : par exemple, pour stabiliser les berges, on peut utiliser des arbres dont les racines vont agglomérer la terre en profondeur et diminuer les processus d’érosion.





La restauration écologique

Certains scientifiques poussent ce raisonnement jusqu’au bout et sont partisans d’un autre type d’intervention (même si la frontière avec l’ingénierie écologique reste souvent très floue !) : la restauration écologique. Il s’agit alors de s’occuper d’un écosystème dont le fonctionnement a été récemment perturbé par les activités humaines, de manière à lui rendre son équilibre initial.

Prenons l’exemple des prairies d’altitude dans les Alpes. Certaines de celles-ci servent de parcs de nuits pour les moutons, qui vont piétiner les végétaux et répandre leurs fèces et leur urine riches en azote. Or l’azote est naturellement présent en quantité limitante dans de nombreux écosystèmes ; l’augmentation de sa disponibilité va donc modifier la pousse de certaines plantes : celles qui étaient en fort déficit d’azote vont être favorisées, et celles qui avaient développé des stratégies originales pour se pourvoir en azote à fort coût énergétique (les Fabacées, qui effectuent une symbiose avec des micro-organismes capables de réduire le diazote de l’atmosphère) seront par conséquent désavantagées.

Le cycle de l'azote

Le cycle de l'azote

La situation est encore plus inquiétante dans le cas des écosystèmes montagnards où la faible température rend les réactions chimiques (y compris celles de la minéralisation azotée) très lentes, et la disponibilité en azote était auparavant vraiment très faible donc la communauté végétale fonctionnait plutôt grâce à une utilisation efficace de cet élément très limitant. La composition spécifique du couvert végétal et les patrons de dominance sont donc fortement modifiés, ce qui conduit à une diminution globale de la biodiversité, malgré l’augmentation de la production primaire. Or, en montagne, cela peut se traduire par un risque d’érosion accru, et un changement de la valeur fourragère des alpages pour les animaux. Pour restaurer cet écosystème, l’un des processus proposé par le CEMAGREF à Grenoble est de faire réaugmenter le ratio C/N du sol en y rajoutant une sorte de sciure riche en carbone2. Le principal problème posé par ce type d’action est surtout son côté expérimental : il s’agit d’une expérience pilote visant à mieux comprendre comment les différents organismes du sol se partagent l’azote disponible, et à évaluer tous les effets (attendus ou non) de l’ajout de carbone dans le sol. Par exemple, les chercheurs se demandent quel est vraiment l’effet des micro-organismes : vont-ils fixer l’azote ou au contraire permettre des fuites de l’écosystème via la production de NO, N2O, N2 (dénitrification) et/ou de NO3 – (nitratation) qui a tendance à être lessivé. De plus, on peut se demander si les herbivores vont limiter la pousse des végétaux par le pâturage ou alors vont pouvoir favoriser la formation de différents ramets par reproduction asexuée. De plus, ces animaux pourraient, grâce au piétinement, mieux incorporer la sciure dans le sol et favoriser l’augmentation du ratio C/N. Ainsi, cette « restauration » n’est en fait pas un retour à une situation ‘naturelle’ dans laquelle il n’y aurait pas d’élevage de moutons pour perturber les apports d’azote : là encore, il y a adaptation aux nécessités économiques du lieu. Mais il y a bien une volonté de rétablir une certaine biodiversité originelle, ce qui n’est pas nécessairement le cas dans la philosophie de l’ingéniérie écologique classique. D’autre part, nous pouvons remarquer qu’actuellement, les hommes savent mieux réaménager à leur guise un écosystème que le ‘restaurer’, car cette dernière opération nécessiterait en fait une compréhension globale de tous les processus mis en jeu intégrés dans un modèle théorique de fonctionnement, afin de prévoir les conséquences des actions entreprises. D’un point de vue plus philosophique, on peut toutefois remettre en question la restauration de l’écosystème de la prairie. En effet, celui-ci est bien entendu associé à un paysage très patrimonial, puisque tout le monde se souvient des fleurs des champs d’antan. Cependant il faut se souvenir qu’auparavant la Gaule était couverte de forêts et que les prairies d’altitudes ont été dégagées au moyen âge pour permettre l’élevage. En restaurant les prairies, on favorise donc une biodiversité qui s’est développée en association avec les activités humaines. Mais les espèces peut-être moins attractives qui se développent dans les vieilles forêts (telles que celles qui se développent sur le bois mort) sont laissées pour compte, car on a même oublié que des forêts ‘naturelles’ ont existé en France.

D’autres types de projets vont chercher à restaurer le fonctionnement d’un écosystème disparu depuis bien plus longtemps. Par exemple, dans la forêt de Fontainebleau, Claude Lagarde, chargé de la gestion de la biodiversité, a ‘restauré’ une dune continentale. Il restait à un endroit un vestige d’un écosystème plus ancien que la forêt elle-même : 20 mètres carrés de sable sur lesquels poussaient une plante rare à Fontainebleau et adaptée à ce sol. Un déboisement de trois à quatre hectares a donc été réalisé, les souches ont été enlevées, et la matière organique du sol a été retirée pour que le sable devienne mobile. L’espèce végétale s’est alors bien développée sur la dune. Mais on peut se demander quelle a été l’utilité de recréer cet écosystème qui ne renvoie à rien de connu pour les hommes. Après tout, on peut essayer de remonter toujours plus loin et de se demander ce qu’il y avait avant la dune. De plus, certes, cela contribue au développement de la biodiversité à fontainebleau, mais de quel droit a-t-on décidé de développer cette espèce particulière ? Ne pourrait-on pas au contraire la considérer comme invasive, puisqu’elle tranche avec les essences habituelles présentes dans la forêt ? Qui nous dit que cette espèce n’a pas été apportée ici par des promeneurs ? De plus, cette dune n’est pas amenée à persister pendant longtemps : petit à petit, les arbres et la matière organique qu’ils déposent sur le sol gagneront du terrain et ré immobiliseront la dune. Est-ce que cela a un sens écologique ? Naturellement, les écosystèmes sont en ‘équilibre dynamique’, c'est-à-dire qu’ils se transforment et s’adaptent mais gardent une certaine pérennité ; on peut donc difficilement qualifier cette dune d’écosystème.

On peut le voir, il est difficile de déterminer ce que ‘restaurer’ un écosystème signifie au juste : quel état voulons-nous récupérer, et en faisant quelles concessions ? De plus, on peut vouloir restaurer un certain équilibre entre des formes de vie, mais quand une espèce est disparue, est-il possible de combler la lacune ? Existe-t-il un ensemble d’espèces capable de rendre à l’écosystème les mêmes services que l’espèce disparue ? Même si cette dernière assertion était vraie, il nous serait dans l’état actuel impossible de le prouver, puisqu’on connaît déjà mal tous les rôles des espèces existantes dans le fonctionnement d’un écosystème.

Le même problème est posé par la réintroduction d’espèces. Lorsque, localement, une espèce a disparu, certains programmes tentent de relâcher à cet endroit des individus provenant d’une autre population non menacée. Mais les effets sur l’écosystème donneur et l’écosystème receveur ne sont pas toujours ceux escomptés. Le prélèvement d’individus peut en effet perturber l’équilibre de la région d’origine de l’espèce en question, et mettre en danger une zone de plus. D’autre part, l’écosystème receveur s’est modifié depuis la disparition de l’espèce, et parfois les individus réintroduits ne parviennent pas à se réadapter. Ainsi, dans le Colorado où 96 lynx canadiens ont été réintroduits entre le printemps 1999 et le printemps 2000, seuls 44 lynx survivants ont été repérés en Novembre 2001, et il n’y avait pas de signe de reproduction des survivants. Dans d’autres cas, comme celui des loups dans le parc national de Yellowstone, l’espèce introduite se développe, mais au détriment d’autres espèces qui avaient survécues dans l’écosystème (ici, les coyotes), on peut alors se demander si le fait d’avoir plus d’espèces à un endroit rend vraiment l’écosystème « meilleur » 3. Il faut souligner que les scientifiques ne peuvent pour le moment prédire avec certitude l’effet qu’aura la réintroduction d’un animal. Mais parfois, même les études prospectives insuffisantes que les écologistes peuvent effectuer aujourd’hui ne sont pas bien menées, et les réintroductions sont motivées par l’attachement à une espèce plus ‘attachante’ plutôt que par un choix raisonné, prenant en compte l’effet futur de l’animal sur l’écosystème local.





La recréation d’espèces disparues

Certaines personnes envisagent la possibilité de reformer par ingénierie génétique des espèces disparues, à partir de restes d’ADN (comme pour les mammouths retrouvés congelés en Sibérie)4 ou grâce à des croisements. Concernant l’utilisation de l’ingénierie génétique, au vu de l’état actuel des connaissances (c'est-à-dire très parcellaires), il semble un peu présomptueux de vouloir essayer de ‘réinjecter’ de l’ADN de mammouth dans le noyau d’un ovule d’éléphant pour recréer une espèce. Le clonage d’espèces actuelles donne déjà des animaux malades dont le développement ne s’est certainement pas déroulé normalement du fait des traitements génétiques qu’on leur a fait subir. Une ‘espèce’ ainsi recréée n’aurait certainement pas de grandes chances de survivre seule.

Poils de mammouth

Des fragments d’ADN de mammouths peuvent rester enfermés dans la kératine des poils, protégés jusqu’au moment où les chercheurs les extraient

L’autre attitude, qui a consisté à vouloir recréer l’auroch (dont le dernier spécimen a été abattu en 1625 en Pologne) à partir de croisement de vaches5 n’est pas moins vaine. D’une part, les croisements sont faits de manière à s’approcher au mieux de l’image que les expérimentateurs se faisaient de l’auroch, plus de trois siècles après sa disparition.

Photo aurochs approximatifs

Les animaux censés correspondre à l'auroch

Dessin de 1927 d'un auroch mâle

Dessin d'un Auroch mâle de 1927, trois siècles après sa disparition

Peinture rupestre d'aurochs

Représentation d’Aurochs (Lascaux, paléolithique supérieur)

Ensuite, la race créée s’est avérée incapable de survivre seule dans l’environnement naturel de l’auroch. Cette expérience nazie démontre donc le contraire de ce qu’elle cherchait à prouver : nous ne pouvons ni ne devons chercher à ‘restaurer’ une espèce, car ce qui donne sa stabilité à une espèce sélectionnée longuement et naturellement c’est la variabilité intraspécifique. En effet, pour survivre et se reproduire en milieu naturel, un individu doit posséder des caractéristiques variées et complexes lui permettant de s’adapter à différents environnements, à diverses situations. Au contraire, la sélection très rapide opérée par les humains va réduire la variabilité, aboutissant à des individus tous très semblables génétiquement et spécialisés dans certains points précis choisis par les hommes. Des vaches élevées par les hommes n’ont pas besoin de savoir répondre à plusieurs situations, il leur suffit de produire de lait et de muscles pour qu’elles soient amenées à se reproduire. Pour créer une espèce indépendante et stable, il faudrait pouvoir récupérer dans le patrimoine génétique des vaches toutes les petites spécificités qui les rendaient adaptables mais aussi moins productrices (compromis énergétique); or ce processus est long et ne peut se faire que si les individus au départ survivent aux nombreuses agressions du milieu naturel.

Ces interrogations quand aux buts et à la légitimité des pratiques d’ingénierie écologique sont plus que jamais à l’ordre du jour. En effet, le modèle américain se développe, et notamment en France où, en 2008, la caisse de dépôts a créé une filiale « CDC-biodiversité » chargée de mettre en place un service de ‘compensation des effets résiduels’, normalement rendue obligatoire par la loi6. L’objectif est alors de « ne pas avoir de perte nette de biodiversité », en essayant de proposer des solutions pour éviter tout impact sur la biodiversité, ou bien, le cas échéant, de réduire ces impacts et de les ‘compenser’ par la réhabilitation de zones dégradées générant « des additionnalités écologiques au moins égales à la perte non évitée ni suffisamment réduite ». Là encore, on peut s’interroger sur la quantification de la protection écologique et de la biodiversité : provoquer la disparition locale de deux espèces mais permettre la réimplantation de deux autres espèces à un autre endroit équivaut-il vraiment à un bilan nul ? Il faudrait réussir à intégrer dans chaque acte les conséquences au niveau local et global, en termes de sauvetage d’espèces à court terme mais aussi en termes de création d’un espace stable, refuge de la biodiversité, si celle-ci n’est pas totalement illusoire. Car on est bien là dans la logique de réhabilitation, c'est-à-dire de reprise en main et de contrôle total d’une zone. Les actions vont donc dépendre de choix humains potentiellement erronés, et éventuellement aveuglés par des préjugés sur ce que doit être un ‘lieu naturel’, avec des espèces qui apparaissent importantes aux yeux du grand public.





La biodiversité est aujourd’hui un concept couramment utilisé mais finalement bien mal compris. Les implications politiques de l’usage fréquent du concept nécessiteraient de ne pas s'arrêter à une définition trop vague , mais de préciser ce qu’on veut exactement protéger. Alors qu’on n’a réussi actuellement à le définir que d’une manière implicite, comme « ce qui est optimisé par la procédure d’établissement des priorités géographiques qui classe tous les lieux en se fondant sur leur contenu en biodiversité grâce à l’utilisation de vrais indicateurs »7. Cependant cette définition présuppose un consensus sur les objectifs de travail entre les différents intervenants, et elle repose sur des indicateurs de biodiversité qui sont chargés de valeurs affectives donc relatives à certaines personnes, dans un certain lieu et à un certain temps… Or, les justifications morales proposées pour la conservation de la biodiversité diffèrent beaucoup entre les personnes, entre une pensée utilitariste et une revendication de droits pour la nature en général et d’une esthétique de la biodiversité, en passant par la volonté de récupération et de perpétuation d’un patrimoine.

Mais dans l’urgence actuelle de la crise d’extinction des espèces et du développement démographique et géographique immense de l’humanité, on peut souligner que la perte de la biodiversité animale et végétale dans le milieu agricole rend très fragile et peu durable notre sécurité alimentaire, puisqu’en cas de maladie ou de perturbation (par exemple climatique), tous les êtres vivants très semblables auront des réponses semblables, aboutissant à une catastrophe si elles sont mauvaises. Nous sommes hautement dépendants de la stabilité de certains écosystèmes au moins, qui repose sur l’existence d’un minimum de diversité biologique, et cet argument utilitariste souligne l’urgence de la situation.

De là découle la question de l’irréversibilité de la situation actuelle et des actions que l’on pourrait entreprendre pour remédier à la situation. Quelles que soient les méthodes employées, un problème de légitimité morale se pose : doit-on vraiment modifier l’environnement dans le seul but d’assurer au mieux un service écologique et économique ? Et si notre but est de récupérer un paysage et des espèces patrimoniales, a-t-on le droit de modifier l’écosystème qui s’est établi depuis, même si sa diversité est moins grande ? Est-il possible de revenir en arrière, ou les hommes sont-ils incapables de recréer cet ensemble très complexe d’interactions qui compose un écosystème ? Enfin, peut-on essayer de redonner vie à des fragments d’ADN d’animaux disparus, ou de recréer une espèce par croisements ? Il semble que les méthodes humaines sont actuellement trop différentes des processus naturels et se situent à une échelle de temps bien trop courte pour qu’on puisse espérer maîtriser la synthèse d’une entité vivante pérenne. Mais cela ne doit pas être un prétexte pour que nous laissions la biodiversité s’éteindre en fuyant nos responsabilités et en niant le danger de l’avenir. La solution réside peut-être dans la protection des espèces, écosystèmes et processus biologiques actuels, dans des parcs et grâce à des pratiques d’utilisation de la terre raisonnées.

Laureline Logiaco




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Notes et références

1 Vers une définition et un positionnement de l'ingénierie écologique ingénierie écologique et écologie de la restauration : spécificités et complémentarités, BARNAUD Geneviève ; CHAPUIS Jean-Louis

2 http://en.wikipedia.org/wiki/Clean_Water_Act#Dredge_and_Fill_Exemptions

3 http://www.mfa.gov.il/MFAFR/MFAArchive/2000_2009/2002/7/Pour%20regenerer%20les%20cours%20d-eau%20d-Israel

4 http://www.futura-sciences.com/fr/news/t/genetique-1/d/ladn-du-mammouth-laineux-sequence-aux-trois-quarts_17414-1/

5 http://www.mnhn.fr/expo/naturevive/troupe/specimen/bec/auroch.htm

6 http://www.cdc-biodiversite.fr/content/nos-solutions

7 Sarkar, 2008





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