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DOSSIERS DE
  BIODIVERSITÉ

Les indicateurs de la biodiversité
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Pertinence et efficacité des indicateurs

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Accès rapide :

- Évaluation et construction des indicateurs
- La demande
- Une information parfois brouillée



Dans la mise en place ou l’usage d’indicateurs, on observe deux positions extrêmes : l’une consiste à se focaliser sur les problèmes liés aux méthodes de calculs, d’agrégations des données et autres aspects purement techniques (statistiques) de l’indicateur au détriment du questionnement sur la pertinence de l’indicateur par rapport à la réalité à laquelle il renvoie, c’est la position que l’on peut parfois reprocher aux économistes lorsqu’ils créent par exemple un indicateur de pauvreté sur une base purement monétaire. L’autre consiste à affirmer l’irréductibilité d’une réalité complexe à un petit nombre de données au point de considérer comme excessivement simplificatrice au point d’être inutile voire mensongère toute tentative de description d’un phénomène par des indicateurs, c’est une position courante chez les anthropologues. La gamme de conceptions que ces deux extrêmes délimitent est tout aussi pertinente dans le domaine des indicateurs de biodiversité. Si le premier extrême tend à négliger le questionnement sur le degré de simplification effectué (et sa pertinence dans le contexte traité), le second reste dans l’idée d’un usage scientifique des indicateurs, alors que c’est dans les domaines de la gestion, de la communication ou du débat qu’un réel besoin d’informations utiles semble se faire sentir.

Un autre aspect est négligé par ces deux conceptions : un indicateur efficace est avant tout un indicateur qui engendre une modification de comportements, qui crée une boucle de rétroaction par son effet sur les comportements lorsqu’il évolue. Ainsi les trois aspects fondamentaux sur lesquels la réflexion est nécessaire sont : le réalisme et la précision par rapport au phénomène considéré, la réalité et l’importance du besoin auquel ils répondent et leur efficacité en termes d’action sur les comportements.



1. Évaluation et construction des indicateurs

Face au risque d’une utilisation abusive, à tort et à travers, d’indicateurs pour justifier tout et son contraire, il semble nécessaire de pouvoir évaluer les indicateurs sur un certain nombre de critères choisis. L’OCDE a par exemple donné une liste de critères importants d’évaluation :

  • pertinence : c’est-à-dire l’adéquation entre l’outil et le besoin des utilisateurs pour lesquels il a été créé.
  • précision : de la récolte des données, des inférences statistiques réalisées, etc...
  • actualité et ponctualité : adaptation au contexte temporel, et en particulier aux échéances décisionnelles en jeu.
  • accessibilité et clarté : de l’information pour les instances décisionnaires.
  • comparabilité : d’un moment à un autre, mais aussi d’un lieu à un autre.
  • cohérence : entre la méthode de construction et de calcul et l’interprétation donnée.

Ces critères font d’ores et déjà apparaître plusieurs tensions constitutives des indicateurs. Tout d’abord il ne faut pas oublier la grande importance de l’échelle dans l’usage d’un indicateur. Un indicateur est conçu par rapport à une certaine échelle (locale, nationale, internationale…) et sera plus ou moins pertinent selon l’échelle à laquelle il est utilisé. D’où un premier problème : l’échelle pertinente au niveau décisionnel n’est pas forcément l’échelle pertinente au niveau écologique. Un problème parfaitement symétrique est lié à l’échelle de temps. Il faudrait dans l’idéal que le temps caractéristique d’évolution de l’indicateur soit en adéquation à la fois avec le pas de temps du décideur, et avec la dynamique d’évolution du système considéré. A cela s’ajoute que certains indicateurs composites agrègent des données qui n’évoluent pas au même rythme, ce qui peut induire une forme de triche dans les actions évaluées selon ces indicateurs : par exemple l’IPV prend en compte des espèces dont les cycles de vie sont de durées très différentes, ce qui peut pousser un décideur à protéger surtout les espèces à court cycle de vie, afin d’obtenir une amélioration rapide à court terme de l’IPV. On a donc là une première tension et un premier équilibre à trouver entre les échelles décisionnelles et les échelles biologiques.

Un indicateur tendra de plus à être d’autant plus pertinent scientifiquement qu’il est adapté au contexte dans lequel il va être utilisé. Un bon indicateur sera donc très local et très spécifique à la situation, au détriment de sa comparabilité. Un indicateur conçu par rapport à un écosystème spécifique sera difficilement utilisable pour comparer des lieux peuplés par des écosystèmes différents. Or la comparaison constitue l’un des principaux moyens d’évaluation des actions et des situations à notre disposition. Le deuxième équilibre à trouver est donc entre la localité, la contextualité de l’indicateur et sa comparabilité, son caractère global.

Enfin, un indicateur efficace doit fournir l’information de manière simple et lisible à propos d’un système scientifiquement complexe et obscur, le plus souvent incomplètement compris. Une simplification est donc nécessaire, augmentant la lisibilité et la clarté d’interprétation, et réduisant la rigueur scientifique. Là se trouve donc le troisième compromis à trouver, entre qualité politique (lisibilité, clarté) et qualité scientifique (rigueur) de l’indicateur.

Afin de pouvoir tenir compte de ces tensions et de pouvoir tenter de trouver des compromis acceptables, il est indispensable d’avoir mené une réflexion détaillée sur la fonction à laquelle on destine l’indicateur afin de pouvoir y adapter l’outil. Selon que le but de l’indicateur sera d’être un outil de communication, une aide à l’action ou au contraire un outil de suivi scientifique d’un phénomène, l’optique de construction ne sera pas la même. Il faudra également tenir compte du niveau de connaissance des utilisateurs-cibles, lesquels devront avoir été bien définis, ainsi que de tout ce qui pourrait entraver la réception de l’information ou la distordre. Enfin comme on l’a déjà dit plus haut, il faudra réfléchir aux échelles spatio-temporelles mises en jeu.

Tout cela permettra que les choix et les conventions adoptés sur les données récoltées, les mécanismes d’agrégation des données, et la forme finale sous laquelle l’indicateur sera publié, soit les mieux adaptés possibles.



2. La demande

Concevoir un indicateur sans se demander s’il existe une demande à laquelle il répond, c’est s’assurer que cet indicateur ira rejoindre la longue liste des indicateurs peu ou pas utilisés, ce qui n’aidera en rien à résoudre le problème actuel de la biodiversité. Pourtant l’étude préalable de la demande reste souvent négligée, et lorsque l’indicateur répond à une demande existante, il n’y est pas toujours très adapté. Le travail est en effet souvent confié quasi exclusivement à des spécialistes, statisticiens, métrologues, etc.… qui ont tendance à se focaliser sur les problèmes techniques et statistiques liés aux méthodes de calcul et à oublier les questionnements sur la réception de l’indicateur et ses effets sur les comportements. La prise en compte de l’utilisateur - cible est pourtant un aspect important de l’adéquation entre l’indicateur en tant qu’outil et sa fonction.

Actuellement la biodiversité reste un concept mal défini, qui renvoie à un domaine scientifique qui est encore à un stade où de nombreux point de vue, de nombreuses approches et de nombreuses idées cohabitent. Mais surtout, la biodiversité renvoie dans l’esprit des gens à une grande diversité de représentations et de conceptions selon non seulement le niveau de connaissance, mais aussi la culture, le milieu social, etc.… Ainsi il est relativement difficile de tenir sur la biodiversité un discours qui parle de la même façon à tout le monde.

Il serait donc nécessaire de parvenir, par le dialogue et le débat, à une plus grande convergence autour de ce concept. Cela constitue donc pour les indicateurs à la fois un problème auquel il faut prêter attention (les caractéristiques évocatrices de la biodiversité ne sont pas les mêmes chez tout le monde) et un besoin auquel ils peuvent répondre, en tant qu’outil pouvant soutenir le débat, et par leur capacité à mettre en relief certaines caractéristiques de la biodiversité. Le débat devant aider à la précision de l’idée de biodiversité est donc crucial pour les indicateurs à la fois comme source d’une demande importante, et à la fois car la construction des indicateurs futurs devra tenir compte de l’évolution des mentalités liée à ce débat.

Si les points précédents concernaient les indicateurs en tant qu’outils de communication auprès d’un certain public, la conception des indicateurs devant servir d’aide à l’action et à la gestion n’est elle non plus pas toujours adaptée à la réalité. On trouve souvent l’idée métaphorique d’un ensemble d’indicateurs qui constitueraient un tableau de bord à partir duquel le pilote pourrait piloter le système à gérer. Encore faudrait-il qu’il n’y ait qu’un seul pilote sûr du but à atteindre… Le plus souvent, les situations de gestion et d’action mettent en jeu de nombreux acteurs, responsables sur des échelles spatio-temporelles différentes, avec des conceptions différentes de la biodiversité, des motivations différentes (éthiques, politiques, pratiques,…). L’indicateur doit donc être avant tout un outil de discussion et de concertation, permettant à chaque acteur d’expliquer son point de vue aux autres, ou à l’inverse de prendre conscience des contraintes des autres acteurs.



3. Une information parfois brouillée

Maintenant que nous avons vu l’importance d’adapter la construction de l’indicateur à un besoin précis, il faut encore assurer que l’information transmise par l’indicateur sera bien reçue entièrement et sans distorsion.

La principale source de brouillage de l’information donnée par les indicateurs est leur trop grand nombre. Comme on l’a vu, chaque indicateur est lié à une situation particulière et à une échelle particulière, ce qui rend son interprétation relative à un contexte donné, l’interprétation étant de plus souvent assez ambiguë. Le décideur se retrouve donc face à une pléthore d’indicateurs, qui ne varient que rarement conjointement, et dont l’interprétation, souvent équivoque, doit se faire au cas par cas. On aboutit donc à une saturation informationnelle. Au lieu d’apporter des informations utiles qui réduiront l’incertitude du décideur face à la situation qui le préoccupe, la masse des indicateurs ne parvient qu’à accroître cette incertitude par sa trop grande complexité, son manque de clarté et de cohérence.

La capacité humaine à appréhender des dynamiques complexes est en effet limitée, ce qui va engendrer un effet de répulsion face à une information trop complexe. Face à la masse d’information, même si une analyse minutieuse et patiente aurait pu l’aider à assimiler les éléments utiles, le décideur va avoir tendance à se détourner pour aller chercher des éléments de réponses plus simples qui risquent d’être simplistes. Le seul moyen de permettre à la société d’assimiler la dynamique complexe de fonctionnement de la biodiversité est de réussir à coordonner l’action dans ce domaine d’un grand nombre de personnes et de groupes sociaux différents.

Pour cela, la première nécessité est de hiérarchiser les indicateurs, avec des niveaux de hiérarchie adaptés aux différents niveaux décisionnels : plus le groupe qui doit parvenir à un accord avec l’aide des indicateurs est grand et divers en origines et en motivations, plus le nombre d’indicateurs utilisables efficacement est petit. En effet, seule une information simple est utile dans un groupe où cohabitent des niveaux d’information et de spécialisation différents. Au contraire, dans un groupe plus réduit et constitué d’une même communauté de pratique, des indicateurs en plus grand nombre et d’une plus grande précision pourront être utilisés. L’unité des connaissances et des conceptions permettra en effet au groupe de traiter une information plus complexe de façon efficace (dans son domaine de spécialité).

Pour un usage collectif à l’échelle de la société entière, le nombre d’indicateurs devrait rester faible (un nombre de l’ordre de 5 est parfois évoqué). Ces indicateurs constitueraient des indicateurs têtes d’affiche donnant une information claire et synthétique sur les grandes tendances, et adaptée aux communications et débats sans préjuger du niveau de connaissance du public. Derrière ces têtes d’affiches seraient hiérarchisés des batteries d’indicateurs plus précis concernant des cercles de décision plus spécialisés. Le nombre pourrait en être beaucoup plus grand, et l’information transmise plus complexe et plus rigoureuses, puisqu’ils seront analysés plus en détail.

Il est donc important d’identifier les indicateurs qui parlent au plus grand nombre et seraient ainsi adaptés à servir de têtes d’affiche. Ne nécessitant pas une rigueur scientifique sans reproche, ils seront facilement critiquables, mais il ne faut pas oublier que leur rôle premier n’est pas la précision, mais l’efficacité informative. On peut citer l’exemple de deux communications faites à des hommes politiques français au sujet du réchauffement climatique : l’une se basait sur les courbes prévisionnelles de température pour l’avenir, l’autre sur des prévisions sur la répartition future des principaux vignobles français (qui se retrouvaient pour la plupart en Angleterre). C’est la seconde qui a le plus marqué son auditoire…




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